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La Balle et les Raquettes

Raquette bleue

 

Elle m’aime, elle ne m’aime pas. Elle m’aime, puis elle s’en va. Est-ce qu’elle m’aime ? Où va-t-elle comme ça ? Par delà le filet, mon amour couleur canari vole jusqu’à la rencontre d’une raquette rouge.  Pourquoi se joue-t-elle de moi ? N’est-ce pas à la raquette de jouer de la balle ?

 

Je la vois désormais à travers des petits cadres encordés qui font barrage, là est la limite de notre amour. Une fois de l’autre côté, raquette rouge se jette sur elle. Je ne vois pas bien mais je sais qu’elle est là-bas. Mais je lui ai dit 100 fois, ma rondeur, reste avec moi, n’y va pas, elle te laissera tomber dès que tu l’approcheras. Mais balle est dans sa bulle, et comme chaque fois elle s’emballe. Elle fonce à toute vitesse mais son élan vite cesse. Lorsqu’elle se retrouve, après quelques douloureux rebonds triplant sa peine, le front contre la terre. Voilà que ma petite planète curcuma est victime de son propre corps. Elle traîne difficilement sa petite sphère le long de la terre battue. Je la vois mutilée, de cet instrument qui n’a pas su la rattraper à temps. Et pourtant je suis là ma balle, avec mon corps qui t’attend.

 

Mais je te vois chez l’adversaire, rougie, poussiéreuse et chamboulée. Sans prêter attention à ta gueule bouffie, le joueur te reprend. Il te jette contre le sol et j’entends ton cri dans cet impact sourd que tu ressens de toute ta mousse. Toujours fidèle à ta nature, tu rebondis puis retombes, aïe. Je peine à te voir ainsi, mais enfin, tu es lancée en l’air. Ça y est ! Je te vois, au sommet de ton saut dans un ciel bleu sans nuage, il a du faire attention à les éloigner pour qu’on te remarque mieux. Tu es désormais si haute, on croirait voir le soleil de midi. Pendant un instant, tu es même alignée sur celui-ci. Je continue de te regarder, vas-tu désormais me revenir ?

 

Raquette rouge, insensible à ton charme, te frappe avec puissance de son grillage thoracique. Une claque si violente que mes cordes se contractent. Si seulement c’était moi qui te touchait, mon amour. Je t’aurais accompagné, j’aurais joué la boussole pour toi, petit luciole. J’aurais suivi le mouvement que tu entamais dans les airs pour le guider, pour que tu saches où te rendre. Je t’aurais caressé de mon doux jeu, et je t’aurais ensuite déposé de l’autre côté, comme on escorte une reine à son lit. Car j’aurais conscience de tenir un bijoux, plus rond que toutes les perles, confectionné par la plus tendre des mains, et produit par le plus doux des orfèvres.

 

Mais après tout, cette gifle furtive ne servirait-elle pas à te ramener au plus vite auprès de moi ?

Je te vois, tu arrives ! Tu fends les airs et le vent t’expire jusqu’à notre embrassade, tu me reviens !

 

Mais avant que tu ne m’atteignes, le filet vint te pêcher, et tu tombas sur le sol. Et une mer de larme se forma, peuplée de regrets. Et si l’on regarde avec assez d’attention, au loin, on pouvait y voir une petite raquette bleue comme l’eau. Cette raquette servait de radeau à un petit coeur mutilé, un petit coeur naufragé.

 

 

Raquette rouge

 

Ah ! Elle arrive !

Il était temps, je n’en pouvais plus d’attendre, sa chair mousseuse me manquait cruellement.

Elle arrive avec une telle confiance. Pendant un instant, mes muscles cordominaux se gonflent, cernant encore un peu plus mon ventre quadrillé.

 

J’aime bien la voir comme ça la petite balle. Confiante, fonçant avec assurance sur moi.

Sa trajectoire est droite, sans détour, sans ondulation, je sais qu’elle me veut, et elle le sait aussi.

Elle fend le vent, et elle fend aussi le cœur de l’autre. Oui, l’autre là, la raquette bleue.

Il est à peine visible le petiot. Je le vois pas très bien, car il ressemble au ciel je trouve. C’est bête comme couleur le bleu. C’est une couleur de poiscaille.

Moi au moins je luis sous le soleil, et je me discerne bien.

Entre nous, je ne laisse aucune balle indifférente, et je finis toutes par les attraper.

 

C’est bon, elle arrive dans mes bras, je la serre fort. Cette étreinte n’est pas vraiment le résultat d’une affection, c’est plutôt que j’aime bien qu’elle sente que je suis fort.

Et puis je la relâche au sol. Elle est un peu trop rêche en fin de compte.

Et puis j’aime bien la voir tomber, comme ça je peux la regarder d’en haut, elle est plus belle vue d’en haut. Je suis bien au dessus, et d’ici, je la vois rebondir contre le sol. Mais l’inconvenient c’est que d’en bas, elle ne peut pas me regarder. Alors je la reprends, pendant un instant nous sommes de nouveau posé l’un sur l’autre. Et je la vois qui me regarde d’en bas, les yeux levés au ciel comme une vierge suppliante. Dans le miroir de ses yeux, j’arrive même à apercevoir mon reflet.

Elle m’a bien vu. Elle m’aime bien. 

Je lui donne une claque au bruit court, sans résonance. Un bruit comme ça assure un lancer puissant. Peut-être un peu trop, car la voilà qui s’envole par-dessus la cage. Elle doit être dans un buisson.

 

Le soleil commence à se coucher, il devient rouge comme moi, mais moi on me discerne toujours bien. Une autre balle arrive quelques minutes plus tard, plus neuve, plus ronde. Elle n’a pas beaucoup d’expérience mais les petites novices sont mes proies de prédilection.

Ceux qui en savent le moins sont souvent ceux que l’on impressionne le plus.

Elle roule vers moi, et je le vois, elle n’attend que d’être envoyée en l’air.

La petite nouvelle, je vais en faire mon affaire.

 

 

La balle

 

Il fait sombre. Mon poil se cramponne malgré moi à la terre ventouse. Mon souffle est encore haletant, c’était intense. Une fourmi passe par là, et dans une totale ignorance m’escalade. Je lève les yeux et voit un ciel feuilleté. Immobile pour la première fois, je me sens caillou.

 

J’entends des cris, surmontés bientôt par des applaudissements. Je regarde entre deux feuilles, et vois le joueur qui l’embrasse, elle, la nouvelle balle. Le voilà qui la brandit en l’air, et le public crie de plus belle. Elle est la plus belle. Moi, je ne vais jamais jusqu’à la fin du jeu, je ne jouis jamais de la victoire. Moi j’occupe le temps qui la précède, je divertis. Jamais assez belle, jamais assez ronde.

 

Alors j’enchaîne les raquettes, certaines sont douces comme les nuages, d’autres plus violentes. Parfois elles s’attachent à moi. Moi je ne m’attache jamais, je fais juste mon travail. J’en aime un autre. Mais la plupart des raquettes sont surtout là pour jouer. Elles aiment bien ça, avoir un objet à claquer, ou à embrasser, selon les jeux. Pendant un court instant, lorsqu’ils m’ont sur leur terrain, ils ont l’impression que je leur appartient. Puis ils m’envoient voir ailleurs, prise de tous les côtés, les manches aiment bien m’échanger. Et ce jeu de passe-passe dure jusqu’à ce que l’on me rejette, balle perdue.

 

Le lendemain, je fus réveillée par une vive lumière. Un visage écarta les feuilles et me saisit.

Je ne sais pas si je devais me réjouir, et si j’étais restée là à croupir ? Jusqu’à ce que la nature me consomme lentement… Non, je ne pouvais pas, celui que j’aime m’attend.

 

Je poursuivis mon voyage dans une main, et je pouvais tout voir, je voyais la victoire, mais avec un peu de retard. Le terrain était tapissé de confettis écrasés, et quelques autres balles bien malheureuses campaient encore dehors. Elles dormaient au pied d’un pin, ou dans une touffe d’orties. Un dernier petit chemin ombragé nous conduisit jusqu’à mon domicile. On me déposa parmi les miennes, dans ma boîte cylindrique. C’était une rude journée, nous étions toutes épuisées.

Sur le couvercle plastique de la boîte, de la buée gouttante de nos transpirations se formait. Et la tête contre la paroi d’aluminium miroitante je pouvais apercevoir mon reflet déformé.

Nous étions toutes empilées les unes sur les autres, mais j’étais la plus proche de la sortie. La boîte était posée sur une table en plein Sud.

 

À travers la vitre plastique, je le sentais.

Le seul qui me fait vraiment transpirer, le seul qui me fait de l’effet, le plus jaune, le plus rond, celui qui me fait oublier mes rudes journées, celui que toujours j’aimerais câliner, le plus haut perché, ma grande balle dorée, mon soleil adoré.

Qui ne me touchera jamais.

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